July 6, 2019 par Jean-Pierre Boueilh

Apitourisme au Costa Rica

Le Costa Rica, l’un des pays où les habitants appelés les Ticos paraissent parmi les plus heureux de la planète ! C’est le très sérieux journal le Monde Diplomatique qui l’avait révélé dans une enquête il y a quelques années. En pleine crise des gilets jaunes c’est le genre d’accroche publicitaire qui ne peut laisser insensible, quand deux néo retraités apiculteurs choisissent les tropiques pour aller y fêter leurs noces d’émeraude (40 ans dans la même ruche).

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Présentation du pays des Ticos

En janvier dernier nous avons donc atterri à San José la capitale, à la découverte du pays qui a choisi de supprimer son armée en 1949 et de se tourner résolument vers l’écotourisme pour bonifier son PIB. 

C’est parce que 6% de la biodiversité mondiale se trouve au Costa Rica que le pays a déclaré 25 % de son territoire en parcs nationaux et en zones protégées ou en réserves. En effet il existe 27 parcs nationaux, dont 2 font partie du patrimoine mondial de l’Unesco, 58 refuges, 32 zones protégées, 15 zones humides, 11 réserves forestières et 8 réserves biologiques.

Le Costa Rica pays béni des Dieux, avec ses 2 côtes (atlantique et pacifique) et ses 9 volcans, protège ainsi plus de 13 000 km² d’aires naturelles terrestres ou marines dans lesquelles on recense :

  • 10 150 plantes et arbres,

  • 850 espèces d’oiseaux sédentaires ou migrateurs,

  • 205 mammifères,

  • 160 espèces d’amphibiens,

  • 220 espèces de reptiles,

  • 1013 espèces de poissons,

  • 35 000 espèces d’insectes dont l’abeille mellifère hybride issue du mélange détonnant d’Apis mellifera ligustica et Apis mellifera Adansonii et l’abeille sans dard du genre mélipone représentée par 58 espèces indigènes.

Les administrations publiques ou privées ont en charge la protection de cette incroyable richesse. Notre administration Française voire Européenne aurait beaucoup à apprendre des différentes lois appliquées dans ce pays comme la loi organique sur l’environnement, la loi sur la protection et l’exploitation des forêts, la loi sur la faune et la loi sur les parcs, autant d’outils législatifs qui permettent une véritable avancée en matière de protection efficace de l’environnement.

L’un des hobbies favoris des Costariciens, c’est jardiner (bio, bien sûr !) pendant le week end et excepté quelques grosses sociétés de production de bananes ou d’ananas, l’utilisation des pesticides est très réduite dans le pays. Contrairement à ce que j’avais pu constater dans les grands pays d’Amérique du Sud, ici au Costa Rica point d’OGM ni de Glyphosate !!

L’apiculture Costaricienne

Après la longue présentation éco touristique de ce magnifique pays, je dois vous avouer que j’avais quand même pris le soin avant de partir, de prendre contact avec Luis Zamora jeune apiculteur trentenaire de la proche banlieue de San José. Chance appréciable Luis en plus de ses compétences d’apiculteur est également méliponiculteur !

Le Costa Rica abrite donc une apiculture essentiellement de rente. Très peu nombreux sont les particuliers apiculteurs de loisir et possesseurs de quelques ruches. On recensait fin 2017 dans le pays et avec précision, 564 apiculteurs pour un nombre de ruches déclarées de 39 376.

Le rendement moyen d’une ruche est de 30 kg pour 2 à 3 récoltes/an.

Au Costa Rica la consommation de miel par habitant est relativement faible puisqu’on l’estime à 300 g par an. Le pays longtemps exportateur de miel est obligé d’importer 400 tonnes (chiffre de 2017)

Le miel est cependant un produit qui se vend très bien et qui fait même partie des produits de luxe. Il faut compter au moins $ 10/kg lorsqu’on l’achète en pot dans le commerce et l’apiculteur obtient assez facilement $ 6/kg lorsqu’il le vend en fût ! C’est un produit festif qui fait partie des cadeaux très appréciés lorsqu’il est offert…

Sa rareté est surtout liée à l’histoire de l’évolution de l’apiculture Costaricienne qui a subi comme tous les pays d’Amérique Centrale, l’arrivée de l’abeille africanisée qui a bouleversé les us et pratiques des apiculteurs. D’après Luis près de 80 % des apiculteurs entre 1986 et 1989 ont abandonné leur activité suite aux accidents mortels qui ont accompagné l’invasion de cette nouvelle abeille particulièrement difficile à élever (agressivité extrême et propension à l’essaimage et à la désertion particulièrement élevée).

L’exploitation de Luis Zamora, société Miel la Dorada

Luis fils d’apiculteur a ses propres ruches depuis l’âge de 12 ans. Avant d’être apiculteur il suivi une formation d’ingénieur agronome et dans sa démarche on sent que c’est d’abord un passionné d’environnement et un formidable botaniste et entomologiste.

Il possède à ce jour 120 ruches et renouvelle chaque année 50 % de ses reines tout en vendant également une cinquantaine d’essaim (prix en 2018 : $ 108/essaim).

En 2018 avec ses 120 ruches Luis a extrait 3660 kg de miel soit une production d’un peu plus de 30 kg/ruche. Luis ne se contente pas que du miel qu’il produit puisqu’avec sa société il achète à des collègues 12 000 kg de miel qu’il conditionne en pots de 500 g et revend sur la capitale. Il bénéficie de l’aide bénévole de son père et a embauché à l’année un apiculteur venu du Nicaragua.

Il loue à des éleveurs de bovins des parcelles suffisamment à l’écart de tout passage pour pouvoir y installer ses ruchers. Il faut compter un minimum de 300 mètres de distance entre un rucher et une maison ou un chemin. Les ruchers n’excèdent jamais 20 ruches car le danger lié à l’agressivité de cette abeille doit être en permanence pris en considération. Le coût de la location est très élevé puisqu’il faut compter $ 8.30/ruche et par an !!!

Luis est un apiculteur éleveur qui attache une réelle importance au comportement surtout productif de ses colonies d’abeilles et à leur capacité à moins essaimer. Il a essayé mais en vain, de privilégier la douceur de son cheptel en sélectionnant de manière massale et en les multipliant, les colonies paraissant les moins agressives. Rien n’y fait !! Il faut s’équiper en s’harnachant et en s’armant de courage pour celles et ceux qui débutent en apiculture. Lors de la visite de l’un de ses ruchers jamais jusqu’à l’heure je n’avais bu à travers mon voile une eau au goût de venin tellement les dards y étaient concentrés. Ici la dégustation du miel, ça se mérite !!

L’éleveur effectue donc ses greffages en pratiquant la méthode Doolittle (voir tous les bons ouvrages d’élevage) et notre matinée consacrée au contrôle de la ponte dans les essaims, m’a permis de constater que l’hybride Ligustica/Adansonii offrait un potentiel vraiment exceptionnel.

Autre élément très intéressant, les pertes liées aux varroas sont minimales. En effet l’apport de sang Adansonii permet à l’abeille un nettoyage particulièrement efficace et avec simplement un passage à l’acide oxalique par dégouttement, Luis maintient un niveau sanitaire tout à fait satisfaisant. Pour preuve, il affiche des pertes annuelles qui n’excèdent pas 10 %.

Seule ombre au tableau excepté l’agressivité de son abeille c’est sa propension à l’essaimage. Il lui arrive certaines années d’enregistrer 2 voire 3 essaimages pour une même colonie !! Il estime avoir encore une belle marge de progression pour repérer les colonies moins essaimeuses et peut-être travailler avec des collègues pour sélectionner les colonies ad hoc.

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Le méliponiculteur

Luis depuis son enfance est tombé amoureux de l’abeille mélipone. Quand nous abordons le sujet méliponiculture, il est intarissable ! Pendant ses études d’agronomie il a pris conscience que son pays recelait une vraie richesse et que cette richesse sous-estimée était en danger parce que mal connue et mal appréciée…

Les Mayas Mexicains ou Guatémaltèques vouaient et vouent toujours une admiration immodérée pour l’espèce melipona beecheii très présente dans le Yucatan mais que l’on trouve également dans toute la région qui s’étend du Mexique jusqu’à Panama en incluant la Jamaïque et Cuba. Ces abeilles sans dard sont précieuses dans la pollinisation de certaines productions fruitières ou légumières et dans la reproduction de nombreuses espèces silvestres.

Elles produisent du miel sucré ou pas. Certains de ces « miels » peuvent même avoir un goût d’une amertume prononcée. Ils possèdent tous des propriétés médicinales exploitées pour certaines mais encore méconnues pour beaucoup d’autres. Dans chacun des ruchers Luis peut abriter jusqu’à 12 espèces différentes en fonction de la situation géographique et des ressources en nectar. Certaines de ces espèces ne produisent pas assez de nectar pour pouvoir envisager une récolte dans leur ruche. Elles sont simplement présentes dans le but d’être conservées. 

A ce propos, Luis connait les méthodes pour pouvoir diviser les colonies de mélipones et il propose aux parcs et réserves publics ou privés la mise en place de différentes espèces autochtones dans des ruchers que les touristes peuvent observer à distance (voir photos). Ainsi Il propose aux propriétaires ou aux responsables de ces espaces protégés, le suivi des colonies de mélipones et l’exploitation du miel produit dans les ruches. Cette prestation de service est en train de prendre un essor très intéressant pour le méliponiculteur ! La récolte moyenne annuelle des mélipones se situe autour de 1 à 2 kg par colonie d’abeilles.

Pour les diviser, Luis déplace la colonie mère (colonie qui abrite la reine) de plusieurs mètres et la colonie orpheline qui reste sur l’emplacement initial, permet à l’une des nombreuses princesses présentes tout au long de l’année dans la colonie de se muer en reine mère !!!

Luis est très confiant sur l’avenir des mélipones car son pays est sensibilisé et promeut la mise en place de nombreux projets dans lesquels figurent la mise en place de mélipones. Exceptés chez les Brésiliens et les Cubains qui ont réalisé de nombreuses études et qui achètent les produits des mélipones, il y a un potentiel d’investigations sur les propriétés médicinales des miels, des pollens et de la propolis qui pourraient déboucher sur un marché prometteur.

Enfin je voudrais dire combien ce voyage initiatique nous a comblés à tous les deux et combien encore une fois notre passeport d’apiculteurs nous a permis d’ouvrir les portes d’un petit monde où les mots nature, partage, bien vivre font décidément bon ménage avec le mot apiculture.

Pour conclure mon souhait le plus cher serait que l’Anercea soucieuse de son ouverture et qui n’a de cesse d’assouvir la curiosité de ses adhérents, puisse un jour donner une tribune à Luis Zamora pour qu’il nous fasse partager son expérience d’apiculteur Costaricien et de méliponiculteur passionné.

Jean-Pierre Boueilh